Lors d’un dîner, nos amis Gaby et Michel racontent avec enthousiasme les croisières fluviales qu’ils ont faites sur un bateau sans permis. De fil en aiguille, on évoque les prochaines vacances, et ils nous proposent de partager un bateau pendant une semaine.
Et pourquoi pas ? C’est nouveau pour nous, et assez tentant d’essayer. C’est parti : on réserve un bateau chez Nicols, on choisit l’itinéraire. Ce sera la Saône … on a eu de la chance : on avait d’abord envisagé le canal de la Marne au Rhin, heureusement qu’on a changé d’avis, car c’est l’année où le plan incliné de Arzwiller est tombé en panne !
Et nous voilà, début août, en route pour Port sur Saône afin de prendre possession de notre bateau et faire une croisière d’une semaine jusqu’à Auxonne et retour. Il est 14h, nous avons hâte de naviguer. Après les formalités, le gars de Nicols nous montre le fonctionnement du bateau … comme nos amis sont des habitués de la navigation fluviale avec un bateau Nicols, nous pouvons sauter l’étape d’initiation au pilotage par le personnel de la base. On charge bagages et victuailles (les supermarchés seront rares en chemin …) sous un soleil de plomb.
Ça y est, parés à la manœuvre … larguez les amarres ! Hélène et moi étant néophytes, c’est bien volontiers que nous laissons Michel piloter et Gaby s’occuper du reste (car nous le verrons au long de la croisière, il y a un peu de boulot). Et très vite, nous arrivons à notre première écluse. Là aussi, nous commençons par observer nos amis, aguerris à l’exercice. C’est tout juste si on ose prendre en main une de ces cordes (appelées aussières dans le jargon des navigateurs).
Les paysages déroulent sous nos yeux, magnifiques et paisibles. Je ne vais pas décrire tout l’itinéraire, ça te fatiguerait vite cher lecteur ! Juste te dire que nous avons fait un arrêt dans l’ensemble des bourgs et villages du parcours, la moitié à l’aller, l’autre moitié au retour pour préserver l’intérêt de celui-ci. Beaucoup de tout petits villages, avec comme point d’intérêt l’église, le lavoir et le monument aux morts, mais aussi des bourgs plus importants avec des châteaux, des églises, des halles … et même des commerces !
Les bourgs : Port sur Saône et sa promenade le long de la Saône, Gray (des monuments intéressants économiquement à la peine), Auxonne, jolie et vivant
Les villages : Rupt sur Saône et le pont de Chantes, Mantoche, joliment aménagé, Ray sur Saône, un très joli village surmonté d’un grand château …
Les tunnels de St Albin et de Savoyeux (eh oui, parfois la rivière n’a pas assez de profondeur, on passe donc pas des dérivations, dont deux passent par des tunnels d’environ 600 m … c’est étroit et faiblement éclairé : la grosse concentration s’impose)
Et surtout les paysages verts et bucoliques tout au long de la Saône
Nous avions loués chez Nicols un Confort 900, idéal pour deux couples sans enfants (ou un couple avec 2 enfants) avec ses deux cabines séparées, l’une à l’avant, l’autre à l’arrière. Après une rapide prise en main, le bateau se pilote très facilement, y compris pour un néophyte (même ma femme y a pris goût). La cabine de séjour cabine n’est pas géante, mais on peut bien s’organiser pour préparer le repas et dîner (une fois qu’on s’est rappelé où on a rangé les denrées et qu’on a bien repéré où se trouvent les ustensiles).
Pour la nuit, moi qui suis un peu claustrophobe, j’appréhendais l’étroitesse de la cabine, mais en fait on a très bien dormi … Il faut se familiariser aussi avec le fonctionnement des toilettes et son système d’évacuation et de pompage de l’eau, s’habituer aussi à la douche, puisque c’est tout l’espace toilette qui fait office de cabine de douche … mais ça vient vite ! Et quel bonheur de prendre l’apéro le soir au soleil couchant à l’avant du bateau, ou d’y déjeuner à midi (le soir il faisait plus frais) … ce calme absolu sur l’eau en pleine nature, c’est trop bien ! Enfin, à l’arrière un pont très apprécié des filles pour faire bronzette et papoter.
Pas d’écluse à l’horizon ? Michel me cède les commandes. Ça semble assez simple à priori : un grand volant (la barre ça s’appelle) et une manette des gaz : on pousse vers l’avant, ça avance, vers l’arrière, ça recule … ou plutôt ça ralentit. Les premiers mètres se passent bien, nickel.
A la première courbe, je tourne le volant à droite … mais rien ne se passe ! Je tourne davantage, toujours rien. Mais d’un coup le bateau tourne, mais nettement trop, ça part vers la berge. A gauche toutes ! Un tour de volant puis deux … et notre bateau vire sec vers la gauche … je ne sais plus où mettre le la barre pour aller tout droit. Heureusement que la Saône est large. Michel se marre ! Il me montre un petit manomètre sur le tableau de bord qui indique où en est la barre. Tout finit par rentrer dans l’ordre. En fait, piloter un bateau, c’est comme conduire une voiture sur la neige : il faut beaucoup anticiper et tourner le volant avec beaucoup de doigté, tout en finesse.
Après une période d’observation, Hélène se laisse convaincre d’essayer. Les premiers hectomètres se font les fesses serrées, les mâchoires crispées et le regard fixe. Puis peu à peu tout ça s’assouplit, les muscles se détendent … c’est pas si compliqué, tout va bien ! Ça finit par lui plaire …
Finalement, après une rapide prise en main, le bateau se pilote très facilement, y compris pour un néophyte.
Ce qui est très sympa avec notre bateau, c’est qu’on peut s’arrêter n’importe où : à un embarcadère ou tout simplement le long de la berge. On pourrait penser qu’il suffit de se laisser glisser parallèlement à la rive jusqu’à la frôler puis sauter à terre.
Tout faux ! En effet c’est ainsi qu’on arrache les pare-battages (ces boudins qui protègent la coque du bateau) ! Donc, il faut venir, en douceur bien sûr, de 3/4 face à la rive. Dès que la pointe (la proue) du bateau touche, un équipier saute à terre avec l’aussière (la corde) attachée à l’avant et maintient le bateau. Puis on lui lance l’aussière attachée à l’arrière et il tire l’arrière du bateau pour l’amener le long de la berge. Ensuite, il ne reste plus qu’à planter deux gros piquets et y faire des nœuds avec les cordages … en évitant de les tendre à travers le chemin de halage ! Voilà, le bateau est solidement amarré. Et pour repartir, toujours dégager l’arrière en premier pour éviter d’abimer l’hélice. Un jeu d’enfants…
Le parcours de la navigation est parsemé d’écluses. Sur ce coin de la Saône, elles sont toutes automatiques. Selon le cas il y a ou non un éclusier pour veiller sur l’écluse. Premier point : il faut signaler son approche et déclencher le mécanisme. Pour cela, l’un des équipiers attrape une perche en caoutchouc qui pend au milieu de la rivière quelques dizaines de mètres avant l’écluse, et la tourne.
Deuxième point : il faut observer le feu. Vert, on peut passer, rouge, l’écluse n’est pas prête, il faut patienter jusqu’à ce que le feu clignote avant de passer au vert. Et patienter n’est pas toujours si simple, car nous sommes sur une rivière et il y a du courant. S’il y a une bitte d’amarrage, on peut s’y attacher, sinon on manœuvre pour stabiliser le bateau (parfois on fait même des tours dans l’eau).
Ca y est, c’est vert, la porte de l’écluse est ouverte. Il faut s’avancer, à vitesse réduite, pas trop quand même car il faut bien viser pour entrer dans l’écluse et plus la vitesse est faible, moins le gouvernail dirige. Voilà, le bateau est dans l’écluse. Il est recommandé de s’avancer vers la porte opposée, pour laisser de la place le cas échéant à un autre bateau.
Ensuite, il faut stabiliser le bateau, pour qu’il ne bouge trop lors des mouvements de l’eau. On distingue les écluses « montantes » (on remonte la rivière) où l’eau remplit l’écluse et fait monter le bateau, et les écluses « avalantes », où c’est tout l’inverse. Dans une écluse avalante, c’est assez facile de faire passer une aussière à l’avant et à l’arrière autour d’une bitte. Mais le même exercice dans une écluse montante est plus délicat : on est tout en bas des bajoyers (les murs) et soit un équipier monte par une échelle, soit si c’est pas trop haut, on y arrive en utilisant les gaffes (si on a de la chance, il y a un éclusier et on peut lui lancer les aussières). Il ne faut bien sûr pas fixer les cordes aux bittes, mais les faire coulisser au fur et à mesure que le bateau monte (ou descend) pour qu’il reste calé le long du bajoyer. Et surtout (erreur du débutant), ne pas faire passer les aussières sous le bastingage mais au-dessus, pour ne pas l’arracher.
On attend que le sas se remplisse (ou se vide), ce qui est sommes toutes assez rapide. La porte avant peut alors s’ouvrir, il ne reste plus qu’à sortir, toujours à vitesse réduite et en stabilisant bien le bateau (il peut y avoir quelques remous). Voilà … la première fois, le pilote serre les fesses, l’équipier débutant ne sait pas bien quoi faire de ses cordages, mais l’expérience vient très vite, et ensuite c’est un plaisir de passer les écluses. Ne pas oublier quelques mots avec l’éclusier s’il y en a un, voire un petit pourboire selon son action.
Lors de mes premier pas de pilote, je m’offre une belle frayeur. Les berges sont plantées d’arbres dont les branches tombent jusque dans l’eau. A l’approche d’une courbe, j’entends crier. De plus en plus fort … Je ne comprends pas ce qui se passe. Une fois passé les arbres qui masquent la courbe … enfer et damnation : des pêcheurs avec des lignes qui vont jusqu’au milieu de la rivière. Marche arrière toute, grand coup de barre à gauche, mais trop tard : j’embarque une ligne, qui évidemment se prend dans l’hélice. Le pêcheur hurle de plus belle « P… bande d’abrutis (et quelques autres épithètes plus fleuries), c’est de la tresse ! ». De la tresse ? kesako ? « ça vaut 200 Euros » crie l’autre hystérique.
Michel garde son calme et après quelques efforts réussit à dégager la ligne de l’hélice, tandis que le pêcheur en tranche un bout de son côté. On lui balance un billet de 100 Euros sur la berge, le ton baisse un peu (pour ce prix-là, le gars pourra toujours offrir le resto à sa copine s’il rentre bredouille …)
Allez, on repart (j’ai laissé les commandes à Michel …), l’hélice ne semble pas avoir souffert. La morale de l’histoire : primo, on n’est pas en voiture, tu ne serres pas ta droite, mais tu navigues plutôt au milieu de la rivière. Et deuxio, si tu vois un pêcheur, tu coupes les gaz et file vers l’autre rive !
On va pour accoster à un petit ponton, l’avant touche, on veut approcher l’arrière en s’aidant d’une gaffe … Maladroit, le moussaillon la lâche et la voilà à l’eau ! Pas grave, ça flotte … Mais le courant se rappelle à nous : elle s’éloigne … Et c’est parti pour des manœuvres, des ronds dans l’eau pour la récupérer. Ça n’a pas l’air, mais manœuvrer le bateau dans un mouchoir de poche, ce n’est pas si simple. En tous cas, on rigole bien !
Nous repartons et le prochain petit incident nous attend dès l’écluse n°18. La manœuvre se passe nickel, notre équipage est maintenant bien rôdé. Mais en sortant, les remous aidant, je frôle un peu trop le bajoyer (le mur, quoi) droit de l’écluse. Les pare-battages frottent, mais bon, ils servent à ça. Sauf que dans le mur il y a une anfractuosité dans laquelle monte une échelle métallique. Et un pare-battage se coince là-dedans. Ca ne rate pas : la corde casse et on perd la bouée. Le temps de sortir de l’écluse, de s’amarrer plus loin, la porte s’est refermée. Il va falloir récupérer la bouée depuis l’intérieur de l’écluse. C’est là qu’on se rend compte que c’est haut … comment s’y prendre ? Un jeune couple, qui navigue avec ses deux petits-enfants sur une improbable embarcation « faite maison » (deux planches à voile assemblées en guise de flotteur, des sièges et un volant de voiture … et ça marche !) viennent nous aider. On finit par dégoter à l’écart une sorte de longue perche, puis c’est un grand jeu de patience pour choper l’œilleton de la bouée (un peu comme à la foire, à la pêche aux canards). On remercie nos Saint-Bernard avec une bouteille de rosé, on rattache la bouée (qui du coup est bien plus haute que les autres, la corde ayant été raccourcie…) et ça repart.
Le dernier jour, nous faisons juste un aller-retour entre Port Sur Saône et Port d’Atelier. Au moment de sortir de l’écluse de Conflandey, nous voyons flotter dans le sas une bouée blanche … là, on se marre : il semblerait qu’on ne soit pas les seuls à perdre un pare-battage ! Une fois sorti, je suis pris d’un doute : un coup d’œil sur le flanc droit du bateau … c’est la nôtre, de bouée !!! Bon, là on fait moins les fiers, et en avant les manœuvres pour la repêcher, puis la rattacher avec des nœuds savants pour ne plus la perdre…
En repartant de Scey sur Saône, nous cherchons un coin pour la nuit. Mais c’est pas évident, les berges sont empierrées en pente douce, et on n’arrive pas à suffisamment s’approcher du bord sans prendre de risques pour l’hélice. Va falloir trouver, la nuit tombe et en principe on n’a pas le droit de naviguer. Bon, voici un endroit « moins pire ». Michel approche le bateau par la proue … mais toute une végétation de roseaux nous sépare de la berge. « vas-y, saute » qu’il me dit. Je ne vois même pas où commence la terre ferme ! Bon tant pis … avec mon aussière à la main, je bande mes petits muscles et en avant. Je retombe un peu dans l’eau, les roseaux et les orties, mais l’honneur est sauf (et les pieds bien mouillés …) : je suis sur la berge. Ne reste plus qu’à planter les piquets et amarrer le bateau, mais ça commence à être de la routine !
Derniers instants de navigation, nous arrivons en vue de la base Nicols où nous allons restituer le bateau. Michel, qui pilote le bateau, éteint le moteur. Du moins, c’est ce que nous croyons tous. Le silence se fait … On entend Michel actionner le démarreur, une fois, deux fois, trois fois … On le sait très farceur, mais au bout d’un moment, on lui dit « allez, c’est bon, rallume ! » … « j’voudrais bien ! » répond-il, et là il ne sourit plus du tout ! Et en vérité, on est bien en panne de moteur. Ca ne doit pas être le carburant, il y en a bien assez … Le problème, c’est qu’on dérive et se dirige droit vers les bateaux amarrés aux pontons de la base. Vite, on cherche le téléphone de la base, on appelle : « aidez-nous, vite, on est en panne » – « Mais où ? » répond paisiblement le gars de Nicols – « mais lààààà, devant vous ! » et tout le monde de hurler et d’agiter les bras … Là, il a compris et fonce vers nous, grimpant sur le bateau en bout de ponton pour sauter sur le nôtre juste avant qu’il ne le heurte … il était moins une ! Le gars va farfouiller dans le moteur, et trouve rapidement : un simple fusible ! Il répare, le moteur ronronne. Du coup, il va ranger de main de maître notre bateau dans un emplacement libre … c’était bien la peine qu’on s’entraîne aux marches arrière !
Finalement, on a eu un grand coup de bol, on peut même dire qu’on a eu du Pau (c’était le nom de notre bateau !) que cette panne survienne juste devant la base, car ailleurs … sans moteur, on est un peu handicapé !
Nous avons passé une excellente semaine, sous le soleil qui plus est ! La navigation en rivière donne vraiment une impression de liberté. Comme ça, spontanément, ça ne me serait pas venu à l’idée de passer mes vacances dans la Saône … mais sur la Saône, vu depuis la rivière, au rythme paisible de notre bateau, c’est très beau. Des paysages bucoliques, des villages paisibles et champêtres … Ne croyez surtout pas qu’on a le temps de s’ennuyer sur un bateau en rivière : les écluses, les accostages pour les visites, le pilotage tout simplement, ça occupe bien les journées. Notre bateau, loué chez Nicols, était parfait et s’est révélé facile à manœuvrer. Nous avons fait un trajet aller-retour (c’est moins onéreux et plus pratique), mais en prenant soin de garder des visites aussi bien à l’aller qu’au retour. En revanche, il faut prévoir d’emmener des provisions, car inutile de rêver d’aller acheter une baguette le matin !
En tous cas, excellentes vacances, très dépaysantes même dans la France profonde, une expérience à renouveler !
Jacky et Marie-Hélène / 67170 BRUMATH / France
Vous avez trouvé ?
Jack Nicholson bien sûr !